Mardi 09 Mai 2017 – Swing Club
Tonifiant « jazz du monde » ou plutôt jazz de « ses mondes », telle pourrait être qualifiée la musique du Philippe Bayle trio.
Mondes, monts et démons de jazz échappés d’Océan indien, du Brésil, d’Afrique, d’Amérique du nord, d’Europe centrale et de l’ouest, mondes nourris de musiques populaires et savantes, entre thèmes écrits et improvisations libres, de compositions personnelles en reprises inspirées de morceaux inédits, voilà bien la « pâte sonore » qui a permis à Philippe Bayle et à ses musiciens de tracer sa propre voie.
Calquant ses rythmes, ses ballades, sur ceux des peuples qui, aux quatre coins de la planète, ont été modelés par l’âpre histoire des esclaves noirs, coulant ses pas et cadences dans ceux d’arpenteurs éclairés, rêveurs impénitents de Nature (Théodore Monod), le trio nous convie au « lâcher prise » et à effectuer, en sa compagnie, de superbes vagabondages musicaux.
Ces 3 musiciens là — Philippe Bayle, Iazid Ketfi, Didier Ottaviani — ont du bagage et du métier. On les sent rompus et aguerris à bien des répertoires et à toutes sortes d’expériences artistiques.
Amitié, complicité, respect mutuel scellent des valeurs qui font la richesse humaine et musicale du groupe, et cela s’entend, dans le bel équilibre sonore qu’ils atteignent dans ce CD, comme d’ailleurs à chacun de leurs concerts. La perception aigüe de la musique qu’ils interprètent permet la circulation des énergies et des idées, dans l’exercice de haute voltige qu’est la formule trio ; la générosité musicale de chaque inter prète, au service du collectif, libère une émotion et une énergie qui nous touchent.
Ainsi l’auditeur est-il saisi par la concision du (des style (s). Thèmes ciselés, bien enlevés, chorus à la lisibilité parfaite, musicalité en tout point qui expose clairement l’évolution du jeu, tout en allant vers l’économie formelle. L’on sent la recherche de la précision du phrasé, de la justesse, de la bonne intonation, l’on entend le soin mis dans l’expression sonore et rythmique du jeu instrumental.
La musique se déploie avec fluidité ; cela swingue, groove, circule, communique, jaillit, se danse, n’oubliant jamais le plaisir des auditeurs, par-delà l’apparente complexité de la matière sonore. Ainsi, l’on s’abandonnera sans compter au phrasé délicat du thème de guitare élégiaque de « Méharée », ou le superbe « Mélodia branca » aux harmonies sophistiquées d’un Guinga porté à incandescence, aux variations mélodiques nuancées et aux accents doux du choro « Sons de Carrilhoes » d’un Jaõ Pernambuco revisité avec brio.
Puis, l’on connaîtra les braises et les dérapages contrôlés du survitaminé « Spiruline », de la flamboyante « Escapade » en terre « jazz brésilien/jazz-rock/manouche », les renversements de tendances d’un audacieux « Avancat blues » braconnant sans vergogne sur les terres d’un « jazz/ be-bop/blues » décomplexé, le groove électrique sous-tension du « Funkli » à l’ostinato incisif et aux improvisations contrôlées. « M.T.P » est un ovni d’afrojazz « synthétisé » où cohérence et justesse, dans le son collectif, propulsent des Soli et des improvisations de guitare sensibles, teintées de lyrisme contenu.
Que dire alors de la biguine endiablée « Souquez » que vous n’en finirait pas de fredonner… La « Gingko valse » est un modèle de vocabulaire économe, élégant : belle rondeur, beau phrasé de contrebasse aux lignes dynamiques épurées et inspirées, jeu raffiné du batteur (quand un seul coup de balai est à la fois rythme et atmosphérique pinceau, quand une cymbale est couleur et accent). « Ségaphil » porte l’empreinte rythmique du « sega » réunionnais, son sens de la maîtrise du temps et de la pulsation.
La frénésie polyrythmique de l’océan indien est à l’honneur dans le Maloya « Y.Def ». Cela a pourtant toute sa place dans ce CD.
En effet, Philippe Bayle, s’il excelle à jouer de ses guitares mélodiques, en raffinant contrepoint et harmonie, maintient en permanence dans son jeu une pulsation rampante, corps et instrument étroitement mêlés.
C’est dans une recherche permanente que le « Philippe Bayle trio « prend plaisir à jouer, en repoussant ses règles (« on ne s’interdit rien ! ») : explorations mélodiques et harmoniques, développement de notes bleues, dissonances, télescopages de blocs sonores, imbrication serrée de l’écriture et de l’improvisation, le tout propulsé par une belle énergie rythmique, dans un cadre construit.
Chacun cherche à surprendre l’autre en fouillant dans tous les ressorts de son instrument, c’est là la preuve d’une belle maturité.